Comme on l’a déjà rappelé à plusieurs reprises sur ce blog, toute divulgation d’une invention avant sa date de dépôt, y compris par l’inventeur lui-même, remet en cause sa nouveauté et empêche de surcroit la délivrance d’un brevet sur cette invention.
Il est donc nécessaire d’attendre le dépôt d’une demande de brevet pour pouvoir divulguer et/ou commencer à commercialiser l’objet du brevet.
Cela veut-il dire qu’on peut commencer à commercialiser l’objet du brevet dès le lendemain du dépôt de la demande de brevet ?
La réponse se trouve dans l’article L.612-9 du Code la propriété Intellectuelle qui dispose que les inventions faisant l'objet de demandes de brevet ne peuvent être divulguées et exploitées librement aussi longtemps qu'une autorisation n'a été accordée à cet effet. Cette autorisation est accordée par le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle sur avis du ministre chargé de la défense.
Il s’avère donc que votre invention ne peut pas être divulguée, y compris après le dépôt de votre demande de brevet, tant que la défense nationale n’a pas donné son feu vert pour cette divulgation.
En effet, le ministère chargé de la défense nationale a la capacité de vous exproprier de votre invention s’il estime que votre invention présente un intérêt pour la nation justifiant un report ou une interdiction de sa divulgation et/ou si l’invention est préjudiciable aux intérêts de la défense ou de la sécurité nationale.
En pratique et dans 98% des cas, une autorisation de divulgation est accordée au demandeur dans un délai de 4 à 6 semaines à compter du dépôt de la demande de brevet. Cette autorisation est réputée acquise de plein droit au terme d’un délai de 5 mois à compter du jour du dépôt de la demande de brevet, si aucune interdiction n’a été formulée.
Peut-on m’interdire de divulguer mon invention au-delà du délai prescrit ?
L’article L.612-10 du CPI prévoit une possible prorogation sur réquisition du ministre de la défense avant le terme du délai de 5 mois. Cette prorogation a une durée d’un an renouvelable, et l’interdiction en découlant peut être levée à tout moment.
Quelles sont les inventions susceptibles d’intéresser la défense nationale ?
Un arrêté ministériel liste les matériels assimilés à des matériels de guerre et à des biens à double usage qui sont donc susceptibles de présenter un intérêt pour la nation. Cette liste est notamment composée des matériels et biens suivants :
- Les armes et les engins de guerre
- Les matières, installations et équipements nucléaires
- Les matières spéciales et équipement apparentés
- Le traitement des matériaux
- L’électronique
- Les ordinateurs, les moyens de télécommunications et de sécurité de l’information
- Les capteurs et lasers
- Les biens de navigation et d’aéroélectronique
- Les biens en lien avec la marine, l’aérospatiale et la propulsion.
- Radar, sonar et systèmes analogues
- Cryptage, décryptage et techniques de protection de données
- Engins d’observations sans pilote
- Alliage, structure et matériaux
- Matières explosives, nucléaires ou dangereuses
- Protection nucléaires, radiologiques, biologiques ou chimiques
- Composants et dispositifs électroniques, infrarouge, optoélectronique à usage militaire
- Aérolargage et parachutage militaire
- Techniques liées au décollage, à l'appontage, à l'atterrissage et au lancement d'aéronefs militaires
- Turbines à gaz, moteurs fusés et propulsion navale
- Bâtiments de guerre de surface ou sous-marins ainsi que leurs équipements
- Engins sous-marins, armes et systèmes de guerre sous-marine
- Dispositifs à énergie dirigée
Il s’agit d’une liste non exhaustive et évolutive.
A noter d’ailleurs que les entreprises qui fabriquent des éléments pouvant intéresser la défense nationale, sont tenues de faire connaître à l’administration le dépôt des demandes de brevets, faites par elles ou pour leur compte, concernant ces matériels et biens dans un délai de huit jours suivant le dépôt de la demande de brevet.
Il est possible d’effectuer cette déclaration par écrit ou par voie électronique via le site internet du Ministère de la Défense.
A l’inverse, seront considérées comme « non sensibles » les inventions ne relevant d’aucune des catégories précédemment énumérées et pour lesquelles la communication au public ou l’exploitation ne saurait être préjudiciable aux intérêts de la défense ou de la sécurité nationale. Le cas échéant, l’autorisation susmentionnée sera adressée au demandeur rapidement après le dépôt de la demande de brevet.
Que se passe t’il si mon invention est classée ?
Si votre demande de brevet est classée secret défense, vous ne serez pas autorisé à la divulguer et à l’exploiter en dehors de tout lien avec la défense nationale. Le cas échéant, vous pourrez exiger une indemnisation pour le préjudice subi. Il va sans dire que les niveaux des indemnisations, les conditions d’attribution et modalités de négociation sont des informations confidentielles.
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En conclusion, il est important de noter qu’il est nécessaire d’attendre une autorisation de divulgation avant de commercialiser ou de divulguer une invention, même si le risque d’être classé est faible pour plus de 98% des inventions déposées. En dépit du risque faible, nous ne pouvons que vous recommander de respecter néanmoins ce principe.
En effet, le code pénal prévoit dans son article 411-6 que « Le fait de livrer ou de rendre accessibles à une puissance étrangère, à une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou à leurs agents des renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers dont l'exploitation, la divulgation ou la réunion est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation est puni de quinze ans de détention criminelle et de 225 000 euros d'amende. »
En définitive il faut donc faire preuve de prudence, et se rapprocher de votre conseil en propriété industrielle pour envisager les différents scénarii possibles, en particulier si votre invention relève d’un des domaines techniques listés dans cet article.
Retrouvez tous nos articles sur la propriété intellectuelle sur notre blog #IPBoardingPass.
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