Un client : « Bonjour, je lance mon nouveau produit innovant cette semaine, vous pouvez déposer ma marque ? »
Un Conseil en Propriété Industrielle (bienveillant) : « Bien sûr, quel est votre projet ? »
Le client : « on lance une nouvelle chaussure de randonnée, on l’a appelée « Tout Terrain », vous en pensez-quoi ? »
Le Conseil (toujours bienveillant) : « oui c’est intéressant, mais…ça ne décrit pas un peu votre produit : une chaussure qui permet de randonner sur tout type de terrain ? »
Le client : « Bon, on va réfléchir à autre chose, je vous rappelle ».
Parfois source de frustration pour les aspirants déposants, la condition de distinctivité de la marque est pourtant fondamentale et il est nécessaire d’en percevoir les enjeux afin d’éviter d’engager des frais de dépôt et de communication autour d’un signe qui sera in fine insusceptible de protection.
L’exigence de distinctivité découle naturellement de la fonction essentielle de la marque : permettre aux consommateurs d’identifier les produits et services d’une entreprise et de les distinguer de ceux de ses concurrents.
Et pour pouvoir jouer pleinement ce rôle de signe distinctif, encore faut-il que la marque choisie ne soit pas un signe décrivant vos produits ou services, ou une de leurs caractéristiques (et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation de service) ou constituant une désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service, c’est-à-dire un signe nécessaire à vos concurrents pour décrire ou présenter légitimement leurs produits.
Reprenons l’exemple (fictif) ci-dessus : le terme « Tout Terrain » peut être considéré à la fois comme décrivant une caractéristique du produit, en l’espèce sa fonction (une chaussure permettant de randonner sur tout type de terrain) et à la fois comme une indication nécessaire, toute entreprise produisant ou commercialisant ce type de produits pouvant avoir légitimement besoin d’informer le public sur le fait que ses propres chaussures peuvent être utilisées dans différentes conditions de terrains.
Notons qu’il importe peu que le signe choisi soit effectivement utilisé comme indication descriptive, nécessaire, générique ou usuelle au moment du dépôt, il suffit qu’il puisse raisonnablement l’être à l’avenir.
Sont également considérés comme insusceptibles de protection les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.
Le caractère distinctif d’une marque s’apprécie au regard des produits ou services visés au dépôt.
Aussi, une société qui commercialiserait des fruits et des légumes ne pourrait enregistrer la marque « POMME », qui serait considérée comme descriptive au vu des produits en cause, et qui priverait ainsi les concurrents d’utiliser un terme évidemment nécessaire à leur activité.
Par ailleurs, d’un point de vue commercial, il sera bien plus délicat de se faire connaître du public sous un terme utilisé par pléthore de concurrents, ne serait-ce qu’en termes de référencement sur internet !
En revanche, la marque « APPLE » (pomme) déposée pour des ordinateurs, des smartphones ou des tablettes apparaît arbitraire (c’est-à-dire sans lien avec les produits en cause) et ainsi indéniablement distinctive.
La distinctivité n’est pas une notion théorique, mais relève d’une appréciation au cas par cas.
Ainsi, la marque « BRONZAGE SUBLIME », déposée pour des compléments alimentaires permettant d’accélérer le bronzage, a été refusée par le Tribunal de Grande Instance de Paris comme étant descriptive desdits produits.
De même, la marque « BRUT DE PECHER » qui avait été déposée pour une boisson à base de vin et de pêche avait été refusée du fait de son absence de caractère distinctif.
Loin d’être limitée aux seules marques verbales, la condition de distinctivité s’applique également aux signes figuratifs :
Les marques représentées ci-dessus, respectivement déposées pour des produits laitiers et pour des accessoires spécifiquement destinés aux chiens, ont été refusées par l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle pour défaut de caractère distinctif, ces représentations ayant sans doute été considérées comme trop fidèles à l’image classique qu’on peut avoir de ces animaux.
Toutefois, certains signes a priori dépourvus de caractère distinctif peuvent néanmoins être enregistrés à titre de marque, sous certaines conditions.
Tel est le cas lorsque le signe, qui ne répondait pas initialement à l’exigence de distinctivité, a acquis son caractère distinctif du fait de l’usage : c’est ici l’usage public intensif qu’en a fait l’entreprise qui crée à posteriori un lien direct dans l’esprit du consommateur entre le signe et les produits et services de l’entreprise. Dès lors, le signe en question permet bien au public d’identifier l’origine desdits produits et services et de les distinguer de ceux de concurrents.
Tel fut notamment le cas de la marque française « SELOGER.COM » pour laquelle la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 14 avril 2014, a considéré qu’elle avait acquis par l’usage un caractère distinctif, du fait de sa grande popularité auprès des consommateurs.
Il est également possible de compenser l’absence de caractère distinctif d’un signe en y associant un logo, un terme ou un élément arbitraire afin de constituer un ensemble distinctif. Notons que dans ce cas précis, la protection est accordée pour l’ensemble tel que déposé, mais pas nécessairement pour la partie initialement descriptive du signe, à moins que celle-ci ne devienne elle-même distinctive, une fois fondue dans l’ensemble (par exemple le terme « chien » qui peut devenir distinctif pour des vêtements pour animaux, une fois intégré dans l’expression bien connue « un temps de chien »).
Dans le cadre d’un projet de nouvelle marque, on prendra par conséquent garde à ne pas aller au-delà d’une évocation astucieuse du produit, sous peine de basculer dans une description pure et simple dudit produit.
En toute hypothèse, l’adoption d’un signe arbitraire (tel que « APPLE » pour des ordinateurs) permet d’obtenir une protection plus efficace puisqu’un tel terme n’est nullement nécessaire aux concurrents pour présenter leurs propres produits et que tout utilisation commerciale pour des produits non autorisés pourrait constituer une contrefaçon. Par ailleurs, le public n’aura aucun mal à identifier, grâce à cette marque, les produits du déposant et à les distinguer sans confusion de produits concurrents, rendant ainsi la marque commercialement plus forte.
L’effort de créativité des aspirants déposants est par conséquent récompensé par une plus grande valeur commerciale et par un meilleur champ de protection et le Conseil (bienveillant) ne pourra que recommander à ses clients d’opter pour des marques dites « fortes ».
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